dimanche 20 novembre 2011

Délires alcooliques

En fouinant dans ma cave, j'ai trouvé un trésor.

Non non non! Pas de trésor mérovingien ni de squelette pantelant.
Vous n'y êtes pas du tout.

J'ai nommé, l'ouvrage du célèbre docteur Paul PERRIN: "L'ALCOOLISME"
Paul Perrin, une sommité.
Un oracle.
Professeur de Médecine Sociale et de Médecine du Travail à la Faculté de Médecine et de pharmacie de Nantes, Secrétaire général du Groupement Médical d'Etudes sur l'Alcoolisme.
Pas de la petite bière.




J'ai plongé la tête la première dans mon tonneau de frênette dans cet ouvrage indiscutable et voilà ce que j'y ai lu.

"L'alcoolique est donc avant tout un déséquilibré psychique."
Ça commence bien.

Ensuite, le bon docteur se sent lyrique et entre dans le détail. Il isole des types. Nous avons:
-" le sentimental". S'ensuit tout un développement alambiqué que je traduis librement: le coincé qui n'ose rien balbutier tant qu'il n'a pas un coup dans le nez.
- "Le boute-en-train, qui est un "primaire"". Traduction: un mec qui prend tous les piliers de bistrot pour ses copains, raconte des histoires en se tapant sur les cuisses et s'enfuit la queue entre les jambes dès qu'il y a un os.
Et ça continue comme ça dans un fourre-tout d'où fusent les mots savants: "retardés affectifs, pervers, épileptiques, dipsomanie, immaturité"....

Alors, le doc passe à l'attaque. Il brandit sous l'oeil hagard de son lecteur, en l'occurrence sa lectrice, toutes les calamités dont l'excès de boisson est responsable.

L'alcoolique est un criminel en puissance. Jugez plutôt:

"La déchéance économique, pauvreté, taudis, résultant de l'alcoolisme chronique, sont criminogènes dans la mesure où, incapable de gagner sa vie par des moyens honorables, l'alcoolique sera tenté de s'emparer du bien d'autrui par ruse ou violence. Il y sera d'autant plus exposé que sa déchéance l'aura mené à se réfugier dans un sous-prolétariat, milieu particulièrement capable de l'influencer dans ce sens."
Amateurs de bière, faites gaffe à pas finir Lumpenprolétarisés!

Donc l'alcoolo est un délinquant.
Ensuite, c'est un chauffard. Bon. Là d'accord, c'est vrai. Perrin ne dit pas non plus dire que des conneries.
Attendez que je lise la suite...ah oui!
"La descendance des alcooliques comporte une proportion considérable de sujets tarés". Outch! Ça ça fait mal. On touche aux enfants. L'avenir de la France. En plus, le professeur Heuyer "à qui nous devons les plus pénétrantes études sur ce sujet, a relevé l'alcoolisme des parents dans la moitié des cas de délinquance juvénile."
S'ils sont à la fois tarés et délinquants, c'est sûr, ça va mal. Il y a cumul.

Je vous fait grâce du détail. C'est un peu long.

Heureusement, alleluyah! Le cher Perrin propose des solutions.
Je vous ai trié les meilleures.

D'abord, il préconise des injections intra-veineuses d'alcool à doses dégressive. Un sevrage à la sauvage.
Voilà la recette: "on a employé une solution d'alcool à 36% dans le sérum glucosé, à laquelle Lecoq (encore un confrère expert) a proposé d'ajouter de l'extrait hépatique". Bien joué Lecoq!

Ensuite, la trouvaille des trouvailles, c'est celle du docteur Voegtlin. On sent que Perrin est un peu jaloux de ne pas avoir découvert cette idée de génie le premier.
Pour commencer, il est précisé que Voegtlin s'est inspiré de Pavlov. C'est tout de suite rassurant.
Il s'agit d'une cure de conditionnement et de dégoût.

En gros, on enferme le "malade" dans une pièce isolée, on lui donne un émétique aux composants variables selon l'inspiration péremptoire de tel ou tel "confrère" pour le faire vomir et on laisse de l'alcool à sa diposition. Il est précisé que la pièce est noire. Seule la zone de bouteilles est "violemment" éclairée.
Ambiance un peu gothique, voyez. On s'attend à voir surgir Marilyn Manson d'un fond de cave.
Le patient n'a le droit de ne consommer rien d'autre que de l'alcool, qu'il va évidemment vomir à longueur de journée.
S'ensuivent diverses "techniques" d'application de la méthode.
Celle de Desruelles-Fellion est particulièrement sympathique.

"Pendant ce temps, le malade ne reçoit aucune nourriture, aucune boisson non-alcoolisée; il ne fait pas sa toilette, ne se rase pas, ne change ni de linge, ni de drap. Le vin vomi est laissé sur place, la fenêtre, garnie de verre dépoli, n'est pas ouverte. Le malade ne reçoit aucune visite, hormis celle du médecin; on lui inerdit toute activité (...). Bien entendu il ne sort sous aucun prétexte, un seau hygiénique étant mis à sa disposition pour ses besoins naturels".

Pour couronner le tout, il est précisé que le malheureux qui subit ce supplice n'a pas le droit de dormir.
La "cure" dure de 48h à 7 jours.
Nos super docteurs affirment qu'il n'y a aucune contre indication.

Néanmoins, dans un recoin discret, j'ai pu lire que sur 3125 "malades", on déplorait 7 décès. Seulement...

Je vous vois ricaner.
Sûrs que ce bouquin de fou date de 1850.

Pas du tout.
1961.



9 commentaires:

  1. Oui..bouquin de fous! et c'était aussi l'époque, où certains médecins prescrivaient une excision des fillettes et des jeunes filles qui se masturbaient...
    Mon fiston me rappelle fréquemment que tout le monde, depuis Molière (un auteur qu'il aime, c'est pas fréquent) sait que le médecin est un cinglé ou un escroc en puissance.

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  2. Bon, attends, je m'en remets un, j'ai horreur de discuter à jeun....
    c'est peut-être pour ça que mon oncle, jardinier à la " ville" qui picolait plus que ses plantes, disait à ses enfants " résidus de soirs de cuite" quand il était un peu " énervés" comme il en avait fait allègrement 15, tu vois un peu le topo...
    comme dit mon mari, chez nous, personne est jamais mort de soif.....
    je rigole hein!!

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  3. L'alcool est un sujet tabou en France. D'ailleurs, personne ne boit en France, personne, surtout pas dans les services d'urgence vasculaires où on met les poivrots en perce pour les vider de l'acide acétique.

    Ceci dit, les conséquences de l'alcoolisme familial des parents sur les enfants, notamment au niveau cérébral, neurologique et aux déformations graves de la face, ça c'est pas des blagues du Dr Perrin, c'est une triste réalité toujours d'actualité.

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  4. Via "le grumeau" je visite ton site ... et je tombe d'emblée sur un sujet brûlant.
    Un cauchemar ce livre !... mais qui ne m'étonne pas, tant c'est terrible l'alcoolisme et je sais de quoi je parle, ayant vécu celui de mon père.
    (oui, suis tarée, névrosée, stigmatisée ... ça fait du bien de lire ça !)
    Pour finir sur une note plus légère, j'ajouterai :
    " on voit plus de vieux ivrognes que de vieux médecins "
    euhhh ... ça vaut c'que ça vaut !

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  5. @Sorcière, on n'en est tout de même plus à la toute puissance du clystère et de la saignée! Mais ton fiston n'a pas tort. Il faut vigilance garder.
    @Boutfil, à ta santé! Je peux venir m'en jeter un avec toi?
    @Anonyme, je ne nie pas que dans les cas d'alcoolisme dramatique, les gosses en prennent un coup. Mais de là à en faire une généralité aussi effrayante qui menace notre sain pays....On est dans la droite ligne des théories hygiénistes du XIXème siècle. Et ses méthodes font froid dans le dos. C'était il y a 40 ans.
    @Solveig, bienvenue chez moi. J'ai déjà eu le plaisir de te lire et je suis ravie de ta visite. Désolée qu'un billet aussi peu joyeux l'inaugure, mais ce bouquin m'a inspirée.
    T'as pas l'air tarée du tout. Comme quoi, Perrin charriait un peu quand même, en agitant le grelot d'une dégénérescence de la race.

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  6. Quand tu veux on s'en jette un, voir 2....

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  7. Boutfil, tu fais quelque chose vendredi en fin d'après-midi?

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  8. rien de spécial, mais je sens que ça va pas tarder!!

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  9. Euh.. la saignée ça existe encore...
    J'ai une connaissance qui se fait saigner tous les deux mois, à l'hosto... la pauvre souffre d'une maladie du sang pour laquelle c'est le seul traitement.

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