C'est dans ma voiture, en route vers le boulot, que je l'ai appris.
J'étais en retard et j'ai pris pile les infos de 8h00 en pleine poire.
Ça réveille.
Cette histoire de carton dans une école m'a saisie presque au saut du lit.
Ça assomme.
D'autant plus que rien ne nous a été épargné. La journaleux aiment se gargariser dans l'horreur. C'est bon ça, coco.
J'arrive donc à l'école sonnée. C'est pas l'envie qui m'a manqué d'éteindre cette radio de malheur, mais j'ai été prise de scrupules. C'est pas bien de couper le sifflet aux assassinats d'enfants. Alors je l'ai laissée.
C'est pour ça que j'ai été doublement contente d'arriver sur le parking de mon école.
J'aime bien retrouver mes petits monstres et en plus, j'étais vraiment soulagée à la perspective de ne plus entendre parler de tout ça pendant sept bonnes heures.
C'est dire ma consternation quand j'ai appris qu'on nous priait de bien vouloir observer une minute de silence à 11h dans les classes.
Non mais franchement, à quoi ça rime?
Qu'est-ce qu'ils y peuvent, mes mouflets de 10 ans, à cette boucherie?
Je me vois bien arrivant en classe. Présences, appel de cantine, étude. Et puis: "mes chéris, un dingue à massacré des pauvres gosses comme vous dans une école. C'est très triste et très glauque, alors nous allons nous taire 1mn à 11h pour y penser bien fort."
Un coup à les chambouler encore plus, les pauvres.
Je considère en outre que les têtes pensantes qui règnent sur notre beau pays n'ont pas à me dicter la marche à suivre en matière de minute de silence ou autres. C'est moi qui ait affaire aux enfants. Pas eux.
J'ai donc protesté haut et fort que je n'en ferais rien.
Un peu de pudeur, quoi, merde!
Mais en classe, après les présences, l'appel de cantine et l'étude, Yasmine a demandé: "
Maîtresse, vous avez vu ce qui s'est passé à Toulouse?"
Piégée.
Bien obligée de répondre... la télé allumée n'importe quand, voilà ce que ça donne. Ils laissent traîner leurs oreilles et c'est moi qui hérite de la séance causette.
D'autant que le coup d'envoi était lancé et tous les gosses y sont allés de leur pluie de questions et remarques.
"Mon papa, il dit qu'il y a des gens, ils ont un double visage. Ça veut dire quoi?"
"Il paraît que c'était des Juifs, les enfants. C'est comme au Moyen Age alors?"
" Pourquoi il a fait ça?"
"C'est où Toulouse? "..Réponse.. "Aaah ! ça va! C'est loin alors!"
"Mon grand-père, il dit que c'est à cause des jeux vidéos".
Certains réinventaient même l'histoire en ajoutant des détails pas trop racontables.
Yasmine qui mijotait ça depuis le début m'a filé le coup de Jarnac:
"On va la faire la minute de silence?"
J'aurais préféré que tu la poses pas, celle-là...
Il a fallu commencer par expliquer ce que c'était. Restons pédago.
Et pourquoi parfois, on se taisait une longue minute. Ça leur a plu, aux loulous, cette nouveauté. D'autant que je leur ai dit carrément qu'à moi, elle ne me plaisait pas trop, cette minute-là, parce qu'ils étaient encore petits pour ce genre de cérémonie.
Ruben, qui n'est pas idiot a lancé: "
Ben oui! Et pourquoi qu'on ferait pas aussi une minute de silence pour les enfants qui sont morts dans l'accident de car en Suisse?"
Bien vu Ruben.
Un mort est un mort. Faisons silence pour tous.
Y'a rien eu à faire: ils l'ont voulue, leur minute. Défi? Rituel initiatique? Pari de ne pas rigoler?
J'ai fini par céder. Si ça pouvait leur faire plaisir...
J'ai posé mes conditions: si on n'entendait pas la sonnerie idoine à 11h, on laissait tomber. Pas question de se farcir une minute en retard à 3h de l'après-midi.
Si ça tournait à la grosse rigolade, on n'insistait pas. Je voyais d'ici les crises de fou-rire à la quinzième seconde.
Si on n'avait plus envie, on oubliait.
On est tombés d'accord.
A 11h, évidemment, ils ont entendu le signal.
"Ça sonné, là, non?
- Oui maîtresse!!! (zyeux brillants, souffles retenus)
- Bon, on y va alors?
- Oui maîtresse!"
Il a bien fallu y aller...
J'ai cru un instant que Yasmine nous tirerait de là, parce qu'elle retenait à grand peine ses gloussements. Elle s'est maîtrisée.
C'est ainsi que j'ai fait exactement le contraire de ce que j'avais prévu de faire et je ne sais pas encore si je suis une sale renégate vendue aux médias ou une héroïne magnifique.
Sale histoire...