Tout ce battage autour des Pussy Riot commence à m'écoeurer.
Au début de cette histoire, voilà à peu près une semaine, mon coeur a penché vers un soutien. La provoc, même lourdingue (là, ça l'était), balancée à la face des autorités russes, ça a quand même plus de gueule que la pseudo contre-culture hululée dans la bienveillance benoîte.
Les trois nanas avaient pris des risques pour dénoncer la collusion entre l'Eglise et le pouvoir, donc Poutine. Leur action: hurler des insanités dans une église, était certes discutable, mais on a la contestation qu'on mérite. Violence contre violence. Un point partout.
Une des trois est d'ailleurs mariée (oui, mariée) avec un membre du collectif Voina, Piotr Verzilov, dont j'avais parlé voilà quelques mois.
Les actions de
Voina, parce qu'elles témoignaient d'un mélange de culot et d'humour, me plaisaient assez et j'observe que plusieurs de ses membres sont allés en prison dans l'indifférence générale.
Alors par quelle magie les Pussy Riot, si besogneuses soient-elles, ont-elles réussi à griller au poteau les esclaves du monde entier ou les condamnés donneurs d'organes chinois?
Car tous les médias d'Occident d'une seule voix émue, se sont mobilisés avec l'insistance que l'on sait contre la sort fait à ces jeunes femmes.
C'est là que j'ai fait machine arrière.
Qu'est-ce qui leur prenait de déclencher un pareil branle-bas de combat pour une affaire, sommes toutes bien dérisoire, comparée à d'autres drames aucunement relayés?
Depuis deux jours, on ne parle plus que de ça:
trois jeunes femmes, dont deux mères de famille (on s'en fout), sont envoyées au "Goulag", après un procès digne de l'"Inquisition", pour avoir dénoncé en musique la collusion entre Poutine l'immonde et l'Eglise orthodoxe chevelue et corrompue.
Braves gens, le Moyen Age est parmi nous. Ailleurs, tout va bien.
Nous sommes coincés entre les Pussy Riot et la prétendue canicule qui menace nos vies depuis 48 heures.
Amnesty International, Mac Cartney, Madonna, l'inévitable Bernard Henri Levy et toute la Nomenlatura du show biz bien pensant sont sur le coup. On organise des manifs. On fait circuler des pétitions. On se déguise en Pussy Riot.
La version des faits est ainsi présentée et répétée inlassablement. Du martèlement sans explication, sans rappel du contexte ni de l'histoire de ce pays, comme chaque journaliste en a pourtant le devoir.
Le Goulag n'existe plus. Elles sont condamnées à deux ans de camp pénitentiaire. Ça ne sera pas la joie, mais ce n'est pas le Goulag.
Alors les foules s'apitoient. C'est normal et c'est de toute évidence le but escompté. Pourquoi?
Comparons nos deux mondes:
En France, l'Eglise est tolérée et elle est priée de se faire discrète. On peut la ridiculiser à l'avenant dans l'indifférence générale. Elle a été persécutée à peu près dix années, pendant la Révolution française et sous la Terreur.
En France l'individu est considéré comme un être adulte, doué de raison et détenteur de droits depuis..allez, la vague humaniste, pourvu qu'il soit dans le rang. A la louche, quatre cents ans.
Ah oui! N'oublions pas ce détail: si le séjour en camp pénitentiaire russe n'est certes pas une sinécure, il convient de rappeler que
les détenus français ne sont pas à la fête non plus.
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Prison de femmes à Ryazan. Russie. Jane Evelyn Atwood |
En Russie, le servage a été aboli en 1861 par le Tsar Alexandre II, assassiné par les Bolchéviques par la suite. Le statut d'individu n'était reconnu qu'aux gens instruits. Les autres "appartenaient" à leur maître. Lisez "les âmes mortes" de Gogol. Tout y est dit.
On sait ce qui s'est passé par la suite. l'Eglise russe a subi des persécutions d'une extrême violence plus de soixante-dix ans et le pouvoir en place n'a guère valu mieux que le précédent (avec la bénédiction des communistes de chez nous).
Aujourd'hui, en France, la laïcité est la règle. Le fait religieux est sensé appartenir à la sphère privée, même si souvent, l'islam passe allègrement outre.
Aujourd'hui en Russie, l'Eglise est devenue le symbole de l'unité nationale. La plupart des gens y sont très attachés. Que pouvons-nous y comprendre, nous, Occidentaux depuis longtemps affranchis de ce lien? Nous nagions dans le lait et le miel quand les Russes survivaient dans la terreur d'un système qui leur niait toute initiative, toute liberté?
S'attaquer à l'Eglise de Russie comme l'ont fait les trois donzelles, c'était non seulement dangereux, mais à peu près insoutenable aux yeux des Russes les plus simples. Ceux qui ne demandent que la sécurité et le retour à une certaine dignité. Ceux-là aiment Poutine. C'est leur droit.
Notre presse ne nous explique rien de tout cela. Serions-nous donc trop bêtas?
Elle oublie aussi de nous rappeler que la Russie est notre adversaire indirect dans la guerre qui fait rage en Syrie, puisque nous soutenons les rebelles sunnites, tandis que la Russie soutient le parti alaouite en place et avec lui, toutes les minorités religieuses, dont les chrétiens locaux.
Dans ces conditions, même si je trouve que les juges russes sont sévères, je revendique le droit à ne pas soutenir les Pussy Riot. Je l'aurais peut-être fait si elles étaient restées dans l'ombre, mais ce matraquage m'assomme.
Elles ont joué et perdu.
C'est ainsi.