Pendant que notre ministre très respecté réfléchit à la prochaine mise en place d'une "morale laïque" dans nos écoles, nous rentrons.
Dès vendredi dernier 31 août. Un jour en avance sur le calendrier normal, car depuis des années, au nom de notre engagement pour notre mission sacrée, nos inspecteurs en décident ainsi sans qu'on nous paye un centime.
Notre école est ancienne. Un nouveau bâtiment biscornu a complété l'ancien, lui-même aménagé de bric et de broc. Quatre salles de classe à l'origine, douze aujourd'hui.
L'une est perchée tout en haut d'une sorte de donjon, toute seule.
Trois autres à l'étage ne peuvent accueillir que dix-neuf élèves en même temps, à cause du seul et unique escalier qui y mène. Raisons de sécurité.
Depuis que les maîtres ont le privilège de devoir passer deux années de plus à l'université, pour cause de master, ils débarquent
dans l'arène devant les élèves directement.
En haut lieu, on a tout de même considéré que le procédé était un peu risqué, d'où quelques timides garde-fous: pas de CP, ni de CM2, ni de double niveau, ni d'aménagement dans une classe isolée pour les nouveaux profs.
Quand bien même on leur refilait froidement, il y a peu, des morceaux de classes dispersés, composés de camaïeux de maternelle, de CM2 et de niveaux multiples à foison. "
Ça sera formateur, Mademoiselle".
Notre école accumule les défis. Nous avons passé des heures de notre précieux temps offert, le 31 août, à tenter de résoudre ce casse-tête. Nos nerfs, on les a passés ensuite sur les kilos de livres à trimballer, comme les tables et les cartons. C'est le boulot de la mairie? Ah bon?
Voici les cartes de notre jeu:
- carte des recoins isolés (interdits aux nouveaux)
- carte des CP, CM2, doubles-niveaux (interdits aux nouveaux).
- carte des effectifs: les classes sont presque toutes chargées bloc. Vingt-huit en CP, trente-deux en CM1, trente et un en CM2... (pas de classes trop chargées pour les nouveaux)
- carte de la possible ouverture de classe à laquelle le nombre d'élèves nous donne droit, en principe.
Cette situation était prévisible dès juin dernier.
- carte de la patience. Le 7 septembre: nous attendons toujours. Tout est provisoire car, si l'ouverture tant attendue est autorisée, alors il faudra réorganiser toutes les classes.
Les commandes de matériel sont en attente.
Le travail est en attente.
Tout est en attente.
Bien entendu, les réseaux d'aide ayant disparu, les enfants en difficulté (doux euphémisme pour quelques-uns) sont livrés tout crus aux classes de trente et plus.
Les remplaçants sont en voie de disparition accélérée: interdiction de tomber malade.
C'est un bordel insensé. Ça y est, j'ai craqué.
Je me reprends.
Je m'en vais préparer mes programmations évaluatives de morale laïque. Notre bon ministre a raison:
"C
'est un ensemble de valeurs que nous devons partager (...) la connaissance des règles de la société, du droit, du fonctionnement de la démocratie, mais aussi toutes les questions que l'on se pose sur le sens de l'existence humaine, sur le rapport à soi, aux autres, à ce qui fait une vie heureuse ou une vie bonne... La République doit enseigner sa vision de ce que sont les vertus et les vices, le bien et le mal, le juste et l'injuste."