dimanche 26 mars 2017

Histoire d'un voyage à Londres

L'an passé, j'avais accepté de m'embarquer avec une collègue dans un projet de voyage scolaire à Londres.
Le départ était prévu le 7 décembre 2015. C'est dire qu'entre la rentrée de septembre et le jour de la grande traversée, le temps était compté. Moyennant je ne sais combien de mercredis après-midi passés en paperasseries abondantes et vomitives, un harcèlement acharné pour engranger cartes d'identités, assurances maladies, formulaires variés remplis par les familles, paiements et j'en passe, nous avions eu juste le temps de faire le nécessaire à la mi-novembre.

Les gosses étaient surexcités, apprenaient l'anglais à la vitesse de la lumière, ma collègue se liquéfiait d'angoisse. Tout roulait.

C'est alors que survint le massacre du Bataclan, le 13 novembre.

Aussi sec, l'éducation nationale réagit: plan Vigipirate rouge vermillon fluo, prière de boucler les élèves dans les écoles comme des bagnards. Les familles étaient sommées de venir chercher leur progéniture le plus furtivement possible et le moindre déplacement en transport en commun fut absolument interdit. Les écoles de provinces qui envisageaient une vadrouille à Paris furent priées de renoncer: plus de voyages à Paris. Stop, terminé.
Du beau boulot.
Les gosses étaient en sécurité.

Ce qui nous étonna tout de même un peu, c'est que les voyages scolaires à l'étranger ne furent pas clairement interdits. On nous envoya des messages sybilins, où il était question de signaler notre intention de partir. Donc d'engager notre responsabilité.

"Précisions concernant les voyages scolaires hors Île-de-France et à l’étranger
 
Ils sont autorisés et doivent simplement être signalés à l’autorité académique à
l’adresse suivante : celluledecrise@ac-paris.fr, avec copie à l’adresse
sdareic@ac-paris.fr pour les voyages à l’étranger.
Cette information ne donnera pas lieu à une réponse, sauf dans le cas
exceptionnel où l’autorité académique serait amenée à interdire le voyage.
Dans ce cas, et dans ce cas seulement, vous aurez un retour dans les 48 heures."



L'affaire se compliqua encore lorsque je découvris que ma collègue souhaitait partir tout de même.

Moi, malgré ma déception, je ne tenais pas du tout à me lancer à l'assaut de Londres en compagnie d'enfants dans ces conditions.



Seulement nous étions coincée par la logique retorse de notre autorité de tutelle qui, en nous demandant de solliciter l'autorisation, se payait le luxe de nous obliger à engager notre responsabilité. Malin.
Par la même occasion, elle se dispensait de traiter la délicate et périlleuse affaire des gros sous. Sans interdiction officielle, pas de remboursement des sommes déjà versées. Circulez, y'a rien à voir.
Tout bénef pour l'éducation nationale. Tout plein d'ennuis pour nous.

Nous étions mal barrées et en plus, j'avais ma collègue sur le dos, qui flippait sa race en se voyant déjà traînée au tribunal par l'organisme (les PEP 75. "Une association pour le droit à l'éducation, à la culture et aux loisirs pour tous") qui nous réclamait sans sourciller les sommes encore dues et que bien évidemment, je refusais de verser. Le contexte sentait tout de même la poudre!

Par bonheur, ma collègue a molli, les familles nous ont suivies et découvert par la même occasion de quelles manigances l'éducation nationale était capable. Toujours ça de gagné: des yeux d'avocats, journalistes, cadres sup de tout poil (je travaille dans un quartier huppé) qui s'ouvrent sur cette réalité-là, ça débouche sur de la prise de conscience brûlante.
Entretemps, j'avais demandé à l'éducation nationale non pas l'autorisation, mais l'interdiction de partir. Bien évidemment, je n'ai jamais eu de réponse.

Un bras de fer s'est engagé avec les PEP 75 qui refusaient mordicus de faire le moindre geste dans notre sens. C'était signé, attentat ou pas, il fallait payer, sinon...
Finalement, après six mois de négociations intenses, l'appui de la mairie du XVème, de la ville de Paris, des parents qui pétitionnèrent, les PEP ont lâché les sous: autour de six mille euros tout de même.

Le 23 mars 2017, après qu'une voiture pilotée par un cinglé islamiste a foncé dans la foule sur le pont de Westminster, le verdict est tombé: voyages scolaires à Londres annulés jusqu'à nouvel ordre. Il a fallu ça.

Mais comme l'éducation nationale est pleine de bonnes intentions, il a fait savoir dès le lendemain que lesdits voyages étaient à nouveau autorisés. Tout va bien à Londres, finalement.