jeudi 4 janvier 2018

Les aventures de la sarma. Suite, fin et la recette

Seule dans la cuisine, face à ma cuvette de farce à sarma, à ma montagne de feuilles de chou fermenté rincées et égouttée et me voilà dans l'état d'esprit d'un gars qui va sauter en parachute pour la première fois. Ayde Jano!

Une de mes vieilles amies, Nadezda (son blog, c'est par ici ---> 👉) m'avait prévenue que les femmes allait guetter ma manière de replier les feuilles autour de la farce.
Je m'étais donc informée des différents styles de pliage en usage outre Danube. J'ai finalement opté pour le niveau 1: petit pliage des deux côtés latéraux, avant l'enroulage de la feuille sur elle-même, façon nem. Le système de pliage en biais, avec un petit doigt dans le derrière de la sarma pour bloquer le bazar, ce sera pour la prochaine fois, au niveau d'expertise 2.

Je n'ai pas rougi de mon premier plateau. C'était bien parti. Mon gentil mari n'allait pas être forcé de me répudier comme une pesteuse.


Est alors venu le moment de garnir le fond de mon chaudron d'une couche moelleuse de feuilles impropres au roulage, agrémentées de quelques lardons dodus. L'idée, c'est de ne rien laisser perdre et d'aménager un coussin amortisseur de sarma. Car la sarma supporte l'empilement haut la main (dixit ma belle-soeur qui avait raison), mais pas les soubresauts. En cas de mauvais traitements, la sarma se délite et va même jusqu'à éclater et de mémoire de Serbe, personne n'a jamais osé servir des sarma éclatées.

Une fois le coussin en place, les sarmas s'installent, bien calées les unes contre les autres. Il est permis de combler les interstices avec des lardons et de poser délicatement quelques feuilles de laurier pour parfumer subtilement. Dans ce chaudron-là, j'en ai empilé quatre épaisseurs.


On recolle une couche de feuilles déchirées ou moches sur le dessus et là, un saupoudrage léger de poivre et de paprika doux est bienvenu. Reste à recouvrir d'eau, à couvrir et à mettre sur le feu.


J'en ai fait encore un gros faitout et une cocotte pleine à ras-bord. Une invasion de sarma!!
J'y ai tout de même passé deux bonne heures.

Ensuite, pour la cuisson, j'ai fait un pari risqué.
Je savais qu'il fallait faire cuire les sarma très très doucement et très longtemps.
Très longtemps comment? Là, l'information se diluait.
Ma fille, débrouille-toi.

D'autre part, mes informateurs étaient unanimes sur la question du réchauffement-bonificateur de sarma. Pour une fois que les Serbes sont d'accord sur quelque chose, l'information méritait toute mon attention.

Nous étions mercredi. Je les ai chauffées environ trois heures à bouillons à peine frémissants. Ensuite, j'ai collé mes chaudronnées de sarma sur le balcon. Mon frigo a ses limites.
Le lendemain, jeudi soir après ma journée, je leur ai redonné un coup de jus d'une heure, histoire de ne pas faire perdre son fumet balkanique à la maison (en vérité, ça sent très bon: un peu comme la choucroute, mais en plus épicé). Retour sur le balcon.
Vendredi je les ai laissées tranquilles, au frais.
Samedi, je les ai fait recuire une petite heure.

Dimanche, le grand jour, elles ont rerecuit tout doucement encore une heure avant d'être servies.

Nous avions mis la nappe blanche, versé le vin, disposé sur la table des mets choisis, les convives étaient prêts à recevoir les sarma (et à rendre leur verdict). Imaginez un peu ce que ça fait, pour une pauvre Française, d'être dans cette situation. D'accord, ils étaient déjà aux trois-quarts gavés de burek (feuilleté au fromage bien crapuleux) et d'ajvar (confit de poivrons), mais les sarma, ils les attendaient!

Elles n'étaient pas éclatées,
pas débraillées,
 moelleuses,
goûtues,
Ouf!
Ils étaient contents!!

Comme l'exige la tradition, chaque invité (ils étaient douze) est rentré patafiolé de sarma, avec un sac plein pour continuer la fête à la maison.
C'est ainsi que se termine toute slava digne de ce nom.

Dès le dernier convive parti, je me suis écroulée et mon adorable mari a tout rangé et tout nettoyé.  Quand je vous disais que c'était une crème d'homme.
 


Et maintenant, la recette vraie de vraie, la mienne:
Pour six kilos de feuilles de chou fermentées, il faut trois kilos de viande: un tiers de boeuf (gîte), un tiers de veau (blanquette), un tiers de porc (échine).
1kg de poitrine fumée-salée grasse (on en trouve dans les boutiques balkaniques).
1kg de côtes fumées avec beaucoup d'os et peu de viande (pour parfumer, également dans les boutiques balkaniques). Ça ressemble à ça:


500g de riz rond.
Deux oignons.
Deux belles gousses d'ail.
Un bouquet de persil.
Poivre, laurier, paprika.
Huile d'olive.

1/ Hacher l'oignon, puis un beau morceau de poitrine grasse (300-400g). Hacher aussi le persil.
2/ Faire revenir l'oignon haché dans l'huile. Dès qu'il commence à colorer, ajouter l'ail écrasé et ajouter les viandes. Faire raidir sur feu vif en remuant.
Quand les viandes sont cuites, ajouter le persil haché et le riz. Poivrer, "paprikater". Réserver et laisser refroidir. Cette préparation, une fois refroidie, peut attendre plusieurs jours au frais.
3/ Le jour venu, séparer les feuilles de chou de leur base délicatement. Les faire tremper une petite heure dans l'eau froide. Egoutter.
4/ Prendre le temps d'affiner la base de la tige de chaque feuilles avec un couteau, mais il ne faut pas la percer. Les feuilles doivent être fines et assez grandes. Garnir chaque feuille de farce et replier en serrant bien (voir description du pliage plus haut).
5/ Garnir le fond du récipient avec des feuilles abimées et des lardons gras. Disposer les sarma de façon qu'elles ne bougent pas. Glisser des lardons gras et maigres dans les interstices. Disposer deux feuilles de laurier sur chaque couche. Il est possible de faire beaucoup de couches de sarma.
Terminer avec encore une épaisseur de feuilles abimées. Saupoudrer abondamment de poivre et de paprika. Ne pas saler!
6/ Remplir d'eau à hauteur. Placer une assiette à soupe retournée pour empêcher les sarma de remonter, au cas où le couvercle ne suffirait pas.
7/ Faire cuire à bouillons à peine frémissants trois à quatre heures. Goûter. S'il faut saler, là, c'est possible. Recuire une heure le lendemain. Idéalement, encore une heure le surlendemain.
8/ J'ai servi avec une purée de pommes de terre, pour absorber la sauce. C'est possible aussi de présenter de la crème fraîche.

Prijatno!








jeudi 28 décembre 2017

Les aventures de la sarma. Premier épisode.

Voilà un an et demi, j'ai épousé un Serbe.
Je ne suis pas peu fière, parce qu'en plus d'être serbe, mon époux est beau, tendre, joyeux et attentionné.
En prime, je me suis trouvée initiée à la Slava familiale. La Slava, c'est la fête du Saint patron de la famille, Saint Nikola en l'occurrence. 

Sveti Nikola lui-même

A cette occasion, il convient de préparer  une montagne de victuailles pour un tas de gens. Seulement attention!
Pas n'importe quelles victuailles.
Pour ne pas déshonorer la famille, il faut faire des sarma en abondance.
Le béotien esquisse déjà un sourire: comment ça: "Il faut"? Eh bien oui, pas question de se rabattre sur une quelconque ersatz tout préparé de chez Picard ou autre mercenaire du tout fait. L'honneur chez les Serbes, ce n'est pas une plaisanterie et Dieu sait comment pourrait finir une Slava, et donc des sarma, bâclées.
Les sarma, ce sont des délicieux petits pâtés de viande enrobés d'une feuilles de chou fermenté.


Chaque famille a sa recette et veille jalousement à sa transmission. Chez les Serbes, on ne rigole pas avec la tradition.
Je suis moi-même d'origine normando-champenoise et ma culture de la sarma est pauvre.
J'ai donc consulté ma belle-soeur qui, maillon féminin du clan serbe, s'y connaît mieux.
Après une explication détaillée au téléphone, constellée de mots serbes désignant de charcutailles mystérieuses, je me suis crue armée. Pas d'agneau, pas d'ail, un peu d'oignon et des oeufs. Dobro (bien).
Erreur!
Ma belle-mère, également avertie de mes intentions, a précisé la chose: beaucoup d'oignon. Et puis elle a appelé la Serbie pour des renseignements à la source. Là-dessus, ma belle-soeur me rappelle. En fait, c'est beaucoup d'oignons, de l'ail et de l'agneau éventuellement.
Tout le monde était suspendu à mes sarma pas encore commencées et j'avais une pression terrible.
C'est là que mon tendre époux s'y est mis.
Il a eu peur de mon inexpérience et surtout, peur de manquer de sarma (l'horreur absolue). Alors il m'a accompagnée jusqu'aux Pavillons sous Bois, chez" Kod dva blizanca" pour acheter tout le nécessaire. Là, on s'est disputés parce qu'il n'y avait pas assez de" kiseli kupus"(le choux fermenté) et ma commande de viande lui semblait hésitante. Effectivement, je tâtonnais un peu, j'avoue.
Une fois revenus avec le chargement, il a fallu trancher, faire la part des choses entre la belle-soeur, la belle-mère et les copines serbes, me réconcilier avec mon cher mari et me jeter à l'eau.
Plus exactement, me jeter dans la viande. J'en ai acheté trois kilos chez le boucher: un tiers de veau (tendron), un tiers de boeuf (gîte) et un tiers de porc (échine), que je lui ai demandé de hacher. Cette viande, j'ai dû la préparer tout de suite. Nous étions samedi et la Slava, le dimanche en huit. Pas question de servir des sarmas avariées. Alors, j'ai fait frichtouiller deux gros oignons hachés, deux belles gousses d'ail dans un peu d'huile. Quand le mélange a commencé à brunir, j'ai ajouté les viandes, agrémentées d'environ 200 grammes de poitrine fumée-salée serbe hachée aussi, c'est à dire bien grasse. Tout ça touillé et bruni sur un feu vif.  En fin de cuisson, j'ai ajouté un bouquet de persil plat frais haché et une petite moitié d'un paquet de 1 kg de riz rond. J'ai saupoudré largement de paprika, de poivre noir (mais pas de sel) et j'ai laissé refroidir. Ensuite, j'ai tout fourré au frigo.

Quatre jours plus tard, mercredi, j'ai attaqué la confection des sarmas pour de bon. J'ai commencé par déplier les feuilles une par une et les faire tremper une bonne heure dans l'eau froide.

Je m'excuse pour la qualité de la photo: il faisait sombre dans la cuisine.

Ensuite:
J'ai enfermé les chats.
Mis mon tablier.
Lavé mes mains.
Respiré un bon coup.
Et j'ai attaqué.

La suite dans le prochain épisode.