dimanche 27 janvier 2013

Me voilà jurée à la cour d'assises de Bobigny. Episode 1

Depuis lundi matin, je passe mes journées à Bobigny. Plus d'horaires, le temps s'écoule au gré des auditions, tirages au sort, pauses, délibérations: je suis jurée d'assises.

C'est aussi pour cette raison que j'ai abandonné toute vie sociale cette semaine et déserté mon blog.
Les journées durent très longtemps, dix à douze heures et le soir, c'est un peu difficile de revenir dans le monde réel.

Aujourd'hui, samedi, j'ai dû faire les courses pour toute la semaine, ranger, nettoyer. Tout était laissé en plan, faute de temps. Et puis j'ai dormi. Après avoir flotté une partie de la journée dans un brouillard où mes deux mondes se téléscopaient, j'ai fini par sombrer dans une sieste épaisse d'où j'ai émergé dans mon monde normal.
Ne croyez pas que j'exagère. La brutalité du contact avec la prison, le crime, la crudité des témoignages, l'orchestration quasi religieuse du procès, l'extrême concentration qu'il faut tenir pendant des heures, assis sans bouger en affichant un visage sans émotion, la distorsion du temps (il n'y a pas de pendule dans la salle d'audiences), tout cela vous parachute dans une autre réalité.
Les magistrats, eux, jonglent avec. Ils passent de l'une à l'autre.
Nous, simples jurés, n'y parvenons pas. C'est impossible.

Je suis arrivée au tribunal lundi matin, après avoir pataugé dans la neige sale. Par chance, quelques bus s'étaient timidement remis à circuler.
J'avais prévu large, de peur d'être en retard. Le jour se levait tout juste.


La salle était encore vide. J'en ai profité pour prendre une photo furtive, ne sachant pas trop si j'avais le droit de le faire ou pas. Quelques personnes étaient déjà là, silencieuses.


Tout le monde avait visiblement le trac. J'ai extrait un livre de mon sac, pour éviter de céder à la tentation de dévisager les gens. Pour contrôler mon propre énervement, aussi.
Deux personnes en robe noire sont arrivées. La greffière et l'huissier: Vérifications, brèves questions, paperasses.

Enfin, un monsieur en robe rouge est entré théâtralement de derrière le grand bureau central, par une porte invisible une fois fermée. Il a fallu se lever. C'était le président du tribunal, celui qui allait tout orchestrer.

Ce monsieur était remarquablement clair et pédagogue. Soupir de soulagement. Nous aurions affaire à un être humain et pas à un personnage bouffi de son importance ou à une créature éthérée et solennelle.

Il a fallu que les gens qui souhaitaient être dispensés viennent à la barre et pour la plupart, répondent aux questions du président. Rien d'inquisiteur là-dedans: il s'assurait en quelques minutes que le motif invoqué était bien valable ou qu'ils empêchaient bien la personne de siéger tout au long de la session.
Il y a eu beaucoup de dispenses: garde de parent âgé, santé, résidence à l'étranger, impossibilité pour un responsable de PME de lâcher son entreprise... Il est resté vingt-deux jurés titulaires sur trente-cinq convoqués!

La matinée s'est passée ainsi, à expliquer comment les choses allaient se dérouler, quel serait notre rôle, où se garer, et ce genre de chose. A 13h, nous étions déjà épuisés.

L'après-midi, ceux qui le souhaitaient étaient attendus à la prison de Villepinte pour une visite. Il avait recommencé à neiger, l'ambiance était lugubre à souhait. Il ne manquait plus que des corbeaux et des pendus.


En ce qui concerne les vérifications pour entrer dans cette jolie bâtisse, ça ne rigolait pas. Il a fallu enlever ceinture et chaussures, laisser les sacs et les téléphones mobiles dans une salle fermée. Rien dans les mains, rien dans les poches.
C'était un rien décalé, de se balader ainsi en troupeau guidé dans un endroit pareil. Le sommet a été atteint devant l'atelier de fabrication de pochettes de nécessaire à manger (couverts en plastique, serviette...) que des détenus confectionnaient de leurs mains expertes pour le compte de la SNCF en nous lançant des regards en biais. Entre eux et nous: une grille du sol au plafond. On se serait crus dans un zoo. C'était très déplaisant et j'ai préféré regarder le mur derrière moi.
Ensuite, à l'atelier de peinture et revêtements de sol, plus de grille. Ouf! Mais une odeur persistante de solvants et évidemment, aucun masque. Le prof de peinture nous a servi un discours bien rodé d'une voix forte, où il était question de livret personnel de compétences: on se serait crus à l'école. C'était le même langage pédago suintant de fausseté.

On nous a montré beaucoup de choses: une cellule normale, une cellule d'isolement, la bibliothèque, les salles de classe, les couloirs gelés d'où l'eau gouttait parfois du plafond, les cours où les détenus faisaient les cent pas sous la neige, guettant les "colis" jetés de l'extérieur, les salles de parloir aux vitres sans rideaux et où les détenus reçoivent éventuellement leur petite amie. A ce propos, le surveillant nous a dit qu'il était philosophe et qu'il préférait les" laisser faire", même si c'était interdit. "Comme ça, les gars sont calmés pour une semaine". Mais certains, plus intransigeants, les "empêchent de se toucher".
Partout, des grilles, des portes qui s'ouvrent dans un "clac!" sonore en obéissant à des signaux mystérieux. Les détenus sont presque tous d'origine maghrébine ou africaine, les gardiens presque tous antillais ou chtis. Part égale de gars souriants ou murés. Coexistances forcées...
Ce que nous en avons vu semblait bien réglé, presque harmonieux. Illusion.
Les gardiens sont très souvent frappés.
Les détenus reproduisent en prison les règles de la pègre. Les gros trafiquants et les braqueurs sont en haut de l'échelle. Les pédophiles tout en bas, à tel point qu'il faut les isoler des autres.
C'est à ce moment qu'un détenu a dit quelque-chose à travers la porte de sa cellule. Nous étions dans le couloir, sans penser qu'il nous écoutait. Une imbécile de future jurée n'a rien trouvé de mieux que de lui lancer en parlant du gardien "il a dit que t'étais pédophile!". Elle s'était déjà fait remarquer, mais là, elle se surpassait.
Tous ont des téléphones mobiles planqués, du shit. Beaucoup ont des couteaux en céramique. Ça ne sonne pas au contrôle.
Mais comment voir tout ça?

Nous ne rencontrions que des regards réjouis et vaguement insistants. Villepinte est une prison d'hommes. Ce troupeau de bonnes femmes, assorties de quelques mecs un peu perdus, devait les émoustiller un peu ou leur rappeler leur maman. Sauf la conne à la langue trop longue. Celle-là, elle la jouait grande soeur, toute en finesse.

Après moultes grilles et portes à "clac", nous sommes ressortis de cet endroit bizarre, censé nous donner une idée de ce qu'était la prison.
Pas sûre d'en savoir beaucoup plus.


25 commentaires:

  1. welcome
    j'aime la photo de la passerelle,son nom et ce symbole.
    Bzzz...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Bourdon: c'est l'effet de clair-obscur qui embellit la passerelle.
      Marie-Claire et le procès de Bobigny. Une immense étape.

      Supprimer
  2. juste en face de la maison d'arrêt,le CFA où mon pote pourrait te conseiller sur les galettes.C'est un MOF.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour le tuyau! J'irai volontiers causer galettes avec lui. Même si j'espère bien ne plus revoir la maison d'arrêt de Villepinte avant longtemps.
      Qu'est-ce que c'est un MOF?

      Supprimer
  3. Wouaaa... Quel témoignage... Rien qu'à la lecture de ta visite de la prison, j'en avais presque des frissons dans le dos....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Alors je suis satisfaite Chat de Nuit, parce que je n'ai pas trop loupé mon coup. C'est exactement ce que j'ai ressenti, moi aussi, et ce que je voulais tenter de transmettre.

      Supprimer
  4. CEFAA et non CFA tu peux t'y restaurer également.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai trouvé l'adresse sur le net!
      Ah bon? On peut aller déguster aussi???
      Bonne idée!
      Merci du double bon tuyau Bourdon: tu es une mine de tuyaux!
      Bzzzzz

      Supprimer
  5. J'attends la suite avec impatience. Drôle d'expérience !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. N'est-ce pas, Vlad? Bizarre expérience, mais exceptionnelle néanmoins. Je ne regrette pas d'avoir été désignée par le sort.
      La suite arrive!

      Supprimer
  6. " Il ne manquait plus que des corbeaux et des pendus. " Pour un peu on imagine François Villon traînant dans le coin. Brrr, ça fait froid dans le dos.

    Bon courage, tout cela ne doit pas être bien simple à vivre
    bises

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Corto, c'est tout à fait l'impression que me faisait cet endroit. Et j'ai justement pensé à Villon.

      Le moins simple, c'est le réajustement entre les eux réalités.
      Une fois qu'on a mis les deux pieds dans l'une ou dans l'autre, ça va.

      Bises!

      Supprimer
    2. Sauf que dans la Ballade des Pendus, Dieu était de la partie, alors qu'ici, il y a longtemps qu'il a fait le mur !

      Supprimer
  7. tu n'étais pas ravie à l'idée d'y aller mais c'est une expérience intéressante , aller ma belle, bon courage, tu nous expliqueras tout ça ! bisous

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Boutfil, j'étais mi-figue mi-raison: à la fois pas chaude et intriguée. Maintenant, je suis un peu assommée, mais je sais qu'avec le temps, cette expérience aura été une grande chance.

      J'espère quand même ne pas être encore tirée au sort pour la troisième affaire. Là, j'en suis tout de même à ma deuxième sans aucune transition et c'est un peu une course de fond.

      Merci!
      A très bientôt!

      Bisous :)

      Supprimer
  8. Tu as fait des statistiques ethniques en visitant la prison, c'est un crime grave, le bagne t'attend.

    RépondreSupprimer
  9. Experience intéressante, magnifique description de la visite, c'est comme si j'y étais !!!

    Bises




    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Nadezda. Je suis heureuse d'avoir réussi à te faire comprendre ce que j'ai vu et ressenti.

      Bises aussi!

      Supprimer
  10. Le ton distancié de ta note m'évoque " L'Etranger" d'Albert Camus : bouleversant.
    Plein de bisous

    RépondreSupprimer
  11. Je n'avais pas relié "ton" Tribunal à celui de l'affaire Marie-Claire.
    L'ombre de Gisèle Halimi y flotte encore ?
    Saisissant, ton reportage.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Solveig :)
      A vrai dire, l'ombre de Gisèle Halimi flotte surtout sur la passerelle qui relie le tribunal au monde: c'est là que se trouve la pancarte rappelant l'affaire Marie-Claire.

      Supprimer
  12. Oui bah moi, c'est dispense assurée !

    "La crudité des témoignages" ça se dit ça ?...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Aaaah Dalton! Pas sûre! Même avec une bonne raison, les jurés doivent se présenter le premier jour et le président les cuisine pour être sûr qu'il va les dispenser.
      Oui, je crois bien que ça se dit, puisqu'on dit un "témoignage cru". Non?

      Supprimer

Vos commentaires sont les étoiles scintillantes de ma galaxie. Si toutefois des météorites menaçaient de fracasser ce modeste espace de parole, je me réserve le droit de les renvoyer dans les étendues glacées de la blogosphère. Moi, Io, ne saurait être tenue pour responsable de leur composition ni de leur destin