mardi 13 mars 2012

Quand les petites filles grandissent

Ce matin, à 8h32, sitôt ouverte la porte donnant sur la cour, j'ai bien vu que mes élèves n'étaient pas comme d'habitude.


En général, à cette heure-là, ils sont plutôt mollassons. Ils se rangent sans trop s'agiter. Ils sont presque disciplinés. Ensuite, au fur et à mesure que le soleil gagne le zénith, les choses changent et ils redeviennent normaux.

Là, il flottait sur le coin des filles une agitation aussi matinale que suspecte.
D'ordinaire, en pareilles circonstances, je vois assez vite surgir des enveloppes décorées qui signalent un anniversaire prochain. Ou des breloques bariolées qu'on me brandit sous le nez avec ravissement.
Là, rien.

Sur mes gardes, je les ai fait entrer dans le couloir et tâchant de flairer la cause de ces mystères. Réflexe de survie: anticiper, toujours anticiper. Ne jamais être pris en traître.

Ces demoiselles se sont calmées en classe. Bien obligées: je tiens à ma paix, par conséquent, je les ai installées le plus loin possible de leurs copines. On est là pour travailler nom d'un petit bonhomme!
Donc, au boulot.
Elles ont tenu le coup vaillamment pendant les opérations à virgule, puis pendant l'anglais.
Mais juste après le calcul mental, j'ai à nouveau senti planer cette surexcitation bizarre. Ces coups d'oeil entendus. Ces sourires un peu crispés.
L'approche de la récré?
Pas normal.
Même la récré ne leur fait pas cet effet-là.

Alors je me suis dit que la belle Andréa devait avoir un nouvel amoureux et que ça ne me regardait pas. Qu'ils roucoulent en paix.

J'étais de service de cour. Première cour agréable depuis longtemps. Il faisait doux et le soleil chauffait doucement.
Ces demoiselles n'ont pas tardé à m'encercler de leurs airs mystérieux et de leurs sautillements fébriles.
"Maîtresse! On a quelque chose à vous dire!"
"Maîtresse! Il s'est passé quelque chose!"
Dès qu'un malheureux garçon approchait, par l'agitation alléché, elles le repoussaient sans ménagement. Du coup, les garçons se sont mis à rôdailler autour d'elles en un deuxième cercle plus lâche. Ils étaient intrigués, lançaient des coups d'oeil torves en faisant semblant de jouer, et ouvraient leurs oreilles de loin.

On est bel et bien allé me chercher Andréa qui n'attendait que ça et qui s'est mise à faire des mines en rougissant.

"Allez! Dis-lui, à la maîtresse!"
"Maîtresse! Andréa, elle a quelque chose à vous dire!"

Elle mourrait d'envie de me le dire, Andréa, seulement, elle n'osait pas.

Finalement, poussée par le autres qui l'encourageaient, rose d'excitation et de confusion tout à la fois, Andréa a fini par me souffler:
"J'ai mes règles..."

C'était donc ça!

Aussitôt, la tension est retombée comme un soufflé. Elle avait rompu le charme en parlant.
Et dans le même temps, elle est redevenu une petite fille.

La cloche a sonné.

Elle est allée se ranger avec les autres.
Le calme est revenu.
Tout a continué comme avant.
Ou presque.





10 commentaires:

  1. J adore ce billet, c'est mignon. J oserai dire qu il y a presque une odeur de printemps: jeunes filles en fleur et toussa..
    bises

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    1. Merci Corto. C'est vrai que cette histoire m'a émue. Je suis contente de t'avoir fait partager un peu de cette émotion.
      Elles ont encore tellement de fraîcheur, ces petites....
      Ça flanque un méchant coup de vieux en même temps.

      C'est que je ne suis pas aller me requinquer aux embruns, moi! :)

      Bisous

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  2. A l'école primaire ? Quel âge a-t-elle Andréa ?

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    1. Nourriture riche, obésité, bonnes conditions de vie, ensoleillement et mélange ethnique (surtout méditerranéen) rendent la puberté plus précoce. Et on ne parle pas du taux d'hormones artificielles issues des élevages industriels pour ne pas dire concentrationnaires qui atterrissent dans nos robinets et nos eaux prétendument "propres".

      En d'autres temps, la petite Andréa etait bonne à marier. Aujourd'hui, il serait de bon aloi qu'elle se concentrât sur les opérations à virgule qui cultivent le vice à se multiplier après leur appendice caudal tout en s'affinant à l'infini, comme la queue des sauriens.

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    2. Elle a 10 ans, mais elle est grandelette. C'est peut-être pourquoi justement, bon aloi ou pas, elle rencontre quelques difficultés à se concentrer sur les opérations à queue de saurien.

      J'ai eu des élèves réglées à 9 ans. J'en ai été abasourdie, parce qu'elles avaient encore l'allure de vraies gamines.

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  3. c'est amusant, nous on aurait jamais osé en parler ouvertement, ni aux copines et encore moins à la maîtresse, comme quoi les choses ont tellement changées...

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    1. Ah? Je me souviens qu'il traînait toujours quelque part une copine un peu plus délurée qui "parlait" et enseignait sa science. J'aime autant te dire qu'ils s'en proférait des vertes et des pas mûres.
      Quant à le dire aux maîtresses, ça dépend...

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    2. Ca dépend, en effet, je ne me voyais pas raconter cela à la mère Angèle Dinger, notre cinglé d'instit' qui nous a fait apprendre la balade des pendus à sa classe de CM1

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  4. Réponses
    1. Voui, je trouve aussi.
      J'en ai été toute attendrie :)

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