Une de mes vieilles amies, Nadezda (son blog, c'est par ici ---> 👉) m'avait prévenue que les femmes allait guetter ma manière de replier les feuilles autour de la farce.
Je m'étais donc informée des différents styles de pliage en usage outre Danube. J'ai finalement opté pour le niveau 1: petit pliage des deux côtés latéraux, avant l'enroulage de la feuille sur elle-même, façon nem. Le système de pliage en biais, avec un petit doigt dans le derrière de la sarma pour bloquer le bazar, ce sera pour la prochaine fois, au niveau d'expertise 2.
Je n'ai pas rougi de mon premier plateau. C'était bien parti. Mon gentil mari n'allait pas être forcé de me répudier comme une pesteuse.
Est alors venu le moment de garnir le fond de mon chaudron d'une couche moelleuse de feuilles impropres au roulage, agrémentées de quelques lardons dodus. L'idée, c'est de ne rien laisser perdre et d'aménager un coussin amortisseur de sarma. Car la sarma supporte l'empilement haut la main (dixit ma belle-soeur qui avait raison), mais pas les soubresauts. En cas de mauvais traitements, la sarma se délite et va même jusqu'à éclater et de mémoire de Serbe, personne n'a jamais osé servir des sarma éclatées.
Une fois le coussin en place, les sarmas s'installent, bien calées les unes contre les autres. Il est permis de combler les interstices avec des lardons et de poser délicatement quelques feuilles de laurier pour parfumer subtilement. Dans ce chaudron-là, j'en ai empilé quatre épaisseurs.
On recolle une couche de feuilles déchirées ou moches sur le dessus et là, un saupoudrage léger de poivre et de paprika doux est bienvenu. Reste à recouvrir d'eau, à couvrir et à mettre sur le feu.
J'en ai fait encore un gros faitout et une cocotte pleine à ras-bord. Une invasion de sarma!!
J'y ai tout de même passé deux bonne heures.
Ensuite, pour la cuisson, j'ai fait un pari risqué.
Je savais qu'il fallait faire cuire les sarma très très doucement et très longtemps.
Très longtemps comment? Là, l'information se diluait.
Ma fille, débrouille-toi.
D'autre part, mes informateurs étaient unanimes sur la question du réchauffement-bonificateur de sarma. Pour une fois que les Serbes sont d'accord sur quelque chose, l'information méritait toute mon attention.
Nous étions mercredi. Je les ai chauffées environ trois heures à bouillons à peine frémissants. Ensuite, j'ai collé mes chaudronnées de sarma sur le balcon. Mon frigo a ses limites.
Le lendemain, jeudi soir après ma journée, je leur ai redonné un coup de jus d'une heure, histoire de ne pas faire perdre son fumet balkanique à la maison (en vérité, ça sent très bon: un peu comme la choucroute, mais en plus épicé). Retour sur le balcon.
Vendredi je les ai laissées tranquilles, au frais.
Samedi, je les ai fait recuire une petite heure.
Dimanche, le grand jour, elles ont rerecuit tout doucement encore une heure avant d'être servies.
Nous avions mis la nappe blanche, versé le vin, disposé sur la table des mets choisis, les convives étaient prêts à recevoir les sarma (et à rendre leur verdict). Imaginez un peu ce que ça fait, pour une pauvre Française, d'être dans cette situation. D'accord, ils étaient déjà aux trois-quarts gavés de burek (feuilleté au fromage bien crapuleux) et d'ajvar (confit de poivrons), mais les sarma, ils les attendaient!
Elles n'étaient pas éclatées,
pas débraillées,
moelleuses,
goûtues,
Ouf!
Ils étaient contents!!
C'est ainsi que se termine toute slava digne de ce nom.
Dès le dernier convive parti, je me suis écroulée et mon adorable mari a tout rangé et tout nettoyé. Quand je vous disais que c'était une crème d'homme.
Et maintenant, la recette vraie de vraie, la mienne:
Pour six kilos de feuilles de chou fermentées, il faut trois kilos de viande: un tiers de boeuf (gîte), un tiers de veau (blanquette), un tiers de porc (échine).
1kg de poitrine fumée-salée grasse (on en trouve dans les boutiques balkaniques).
1kg de côtes fumées avec beaucoup d'os et peu de viande (pour parfumer, également dans les boutiques balkaniques). Ça ressemble à ça:
500g de riz rond.
Deux oignons.
Deux belles gousses d'ail.
Un bouquet de persil.
Poivre, laurier, paprika.
Huile d'olive.
1/ Hacher l'oignon, puis un beau morceau de poitrine grasse (300-400g). Hacher aussi le persil.
2/ Faire revenir l'oignon haché dans l'huile. Dès qu'il commence à colorer, ajouter l'ail écrasé et ajouter les viandes. Faire raidir sur feu vif en remuant.
Quand les viandes sont cuites, ajouter le persil haché et le riz. Poivrer, "paprikater". Réserver et laisser refroidir. Cette préparation, une fois refroidie, peut attendre plusieurs jours au frais.
3/ Le jour venu, séparer les feuilles de chou de leur base délicatement. Les faire tremper une petite heure dans l'eau froide. Egoutter.
4/ Prendre le temps d'affiner la base de la tige de chaque feuilles avec un couteau, mais il ne faut pas la percer. Les feuilles doivent être fines et assez grandes. Garnir chaque feuille de farce et replier en serrant bien (voir description du pliage plus haut).
5/ Garnir le fond du récipient avec des feuilles abimées et des lardons gras. Disposer les sarma de façon qu'elles ne bougent pas. Glisser des lardons gras et maigres dans les interstices. Disposer deux feuilles de laurier sur chaque couche. Il est possible de faire beaucoup de couches de sarma.
Terminer avec encore une épaisseur de feuilles abimées. Saupoudrer abondamment de poivre et de paprika. Ne pas saler!
6/ Remplir d'eau à hauteur. Placer une assiette à soupe retournée pour empêcher les sarma de remonter, au cas où le couvercle ne suffirait pas.
7/ Faire cuire à bouillons à peine frémissants trois à quatre heures. Goûter. S'il faut saler, là, c'est possible. Recuire une heure le lendemain. Idéalement, encore une heure le surlendemain.
8/ J'ai servi avec une purée de pommes de terre, pour absorber la sauce. C'est possible aussi de présenter de la crème fraîche.
Prijatno!