dimanche 2 octobre 2011

Intégration bidon

Il paraît que la vérité sort de la bouche des enfants.
La vérité, je ne sais pas, mais le bon sens, oui.

Je m'en vais vous restituer ce dont j'ai été le témoin privilégié il y a deux jours.

Fin de journée fatiguée dans ma classe. J'avais la crève et plus beaucoup de voix. La CUI (traduction: l'aide administrative) de ma dirlo adorée se pointe à 15h50, un paquet de feuilles sous le bras. Agitation immédiate des chéris qui ne ratent jamais une occaz de se payer 2mn de récré en classe.
Comme d'hab, elle m'explique qu'il va falloir faire une distribution urgente à 10mn de la sortie des élèves. Je reste placide, même si ça me gonfle de me livrer à une extraction collective de cahiers  et de collage de feuilles à 5mn de la sonnerie.
Mais ensuite, le temps se gâte, elle précise que je suis sensée demander qui est d'origine algérienne.
Euuuh, et pourquoi donc (j'entends déjà les parents hurler comme des loups garous) je vous prie?
"C'est pour l'ELCO (traduction: les cours de langue d'origine), me dit-elle avec son accent roumain musical.
- Laissez donc Ghizella, je vais m'en occuper...."
Ben voyons, je me vois bien demander ce genre de truc à haute et intelligible voix (enrouée). Déjà qu'il faut jongler avec les menus sans porc, sans viande ou classique sans demander ouvertement aux élèves "pour ne pas les stigmatiser"..là, je préfère limiter les risques.

Je vous vois le front barré d'une ride profonde: qu'est-ce donc que les cours de langue d'origine?
Et bien, c'est une énième trouvaille puissante: un cours destiné aux enfants issus de l’immigration, dispensé hors temps scolaire mais dans l’établissement, par des enseignants payés par leur pays d’origine ( et de formation incertaine), donc ingérables. L'idée de base, un peu utopique mais plutôt sympa, c'est de faciliter l’intégration des enfants issus de l’immigration, tout en maintenant un lien avec leur langue et leur culture d’origine.
MAKACH BONO!
C'est parti en sucette, évidemment. Mais ne nous égarons pas.


Revenons à nos moutons.
Sentant le terrain miné à bloc, je demande lâchement à la cantonnade:
"Qui est intéressé par des cours de langue algérienne?"
Répondra qui veut. Après tout, les gamins n'ont pas nécessairement envie de se cogner des heures supp. 
Deux doigts se lèvent: Mounir et Andréa.
Mounir, bon. Passe encore. Il a l'air d'avoir le profil. Encore que..il me semble qu'il ferait mieux d'apprendre d'abord à recopier sans faire 3 fautes par mot et de bosser un peu mieux ses leçons.
Andréa, là, par contre, elle n'a pas du tout le profil. DÉLIT DE FACIÈS.
Je sens monter en moi une bouffée de bonne humeur. "Mais bien sûr Andréa", m'entends-je dire d'une voix suave.
C'est alors que quelqu'un brame bien fort quelque part à droite:
"Maîtreeeeeesse! Andréa elle peut pas!"
Andréa, piquée au vif, rétorque:
"Et pourquoi que j'pourrais pas, si j'ai envie?
-Moi: Absolument Andréa, tu as raison. Prends un papier et demande à ta maman".


Hélas, la partie est perdue d'avance, parce que je sais que maman Andréa qui est mère célibataire, a d'autres chats à fouetter que de s'occuper de porter plainte auprès du tribunal administratif pour discrimination institutionnelle. Ça dure 3 ans mini et c'est pas rigolo. Faut y croire.
Car si les textes sont oecuméniques à souhait, en réalité, Andréa n'aura pas accès aux cours d'algérien PARCE QU'ELLE N'EST PAS ALGÉRIENNE D'ORIGINE. Mounir non plus, peut-être. Mais lui, il sonne couleur locale alors, on va le laisser fréquenter le cours d'algérien. Même s'il n'apprend rien. Même si c'est au détriment du cours de français. Même si le prof échappe à tout contrôle et enseigne n'importe quoi.
Car, tenez-vous bien, si les profs sont nommés par leur pays, ils sont en principe sous la responsabilité du dirlo qui n'est pas là le mercredi (jour où les cours ont lieu) pour le surveiller.  Donc, contrôle zéro.
Et si LE petit Kim, d'origine coréenne, veut suivre ce genre d'enseignement, il se brossera, parce qu'il est seul. Les classes ELCO ne s'ouvrent qu'avec un minimum de 15 élèves pure race. Sans Andréa qui aimerait apprendre l'arabe.
Tant pis pour elle et pour Kim qui brûle de suivre un cours de coréen et n'aura donc pas accès à sa culture d'origine, de ce fait. Sa famille compte pour rien.
Tant pis aussi pour Mokhtar ou Chahinèze qui vont y aller la queue entre les jambes au lieu de dormir mercredi ou au lieu de potasser le reste de leurs cours.
Tant mieux pour toutes les bonnes âmes qui ont pondu cette escroquerie d'ALCO qui ne sert à rien, à part à se donner bonne conscience. Aide à l'intégration, tu parles! Et puis j'aimerais bien qu'on m'explique de quoi se mêle l'école publique et républicaine avec ce fourbi pseudo bien pensant. 


La seule, l'UNIQUE manière d'aider les enfants à s'extraire de leur ghetto, c'est de leur apprendre le FRANÇAIS. Qu'ils ne soient pas largués dès le CE1 par ceux qui sont aidés chez eux par les parents qui font le boulot de l'école! 


Quant à Andréa, tant que cet enseignement puissamment discriminatoire existe, elle a raison, à sa manière et du haut de ses 9 ans, de le réclamer pour elle. 
Liberté EGALITÉ Fraternité, après tout. 


J'ai filé un papier d'inscription à Andréa.
La prochaine fois, je crois que j'oublierai de distribuer.

17 commentaires:

  1. Bizarre... A Nice c'est tout le contraire.. Quand on fréquentait encore les copains de maternelle de mon fils, des mères ulcérées m'avaient rapporté que pour organiser ces cours d'Arabe, on draguait les parents niçois-de-souche, en leur faisant valoir tout l'intérêt pour ces petits niçois à apprendre l'Arabe.
    Je précise que , dans le même temps, la directrice avait refusé les cours bénévoles d'une mère anglophone, parce que la priorité des gosses étaient la maîtrise du français..

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  2. Ici, j'ai toujours connu les cours de langue d'origine pour les gosses d'origine pur jus. Même que ça a posé quelques soucis quand un des parents était marocain et l'autre algérien. Les non pur-jus ne sont pas bienvenus.
    Je suis étonnée d'une telle différence avec Nice. Où est l'égalité, décidément?

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  3. ici, c'est la Seine Saint Denis (précision utile).

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  4. Il faut peut-être un minimum d'inscrits pour organiser ces cours... dans le 93, il doit y avoir assez d'enfants d'origine immigrée, à Nice , dans certains quartiers pas suffisamment, donc pour ouvrir un cours il faut convaincre les autochtones de participer...
    Et d'ailleurs j'ai une petite voisine, qui a fait des études d'Arabe, et qui m'a dit que dès le lycée, y a quasiment que des européens avec option Arabe!!!!!

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  5. Etrange, cette différence de directives.
    Là où je travaille, il y a une petite dizaine d'enfants serbes. Pas assez nombreux (le minimum est fixé à 15) et pas question de recruter hors des rangs. Ils n'ont pas droit aux cours.
    J'en conclus que chaque académie fait sa sauce et c'est bien là le problème.
    L'éducation nationale vire girouette et ça n'augure de rien de bon.

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  6. Très bon billet et surtout instructif sur l'école de nos jours, dans mon temps ( ah ! la vieille conne que voilà..) il était urgent d'apprendre le français aux petits polonais, italiens et autres portugais qui parlaient leurs langues d'origine à la maison sans avoir besoin d'en rajouter par ailleurs
    c'l'progrès ma pov' dame....

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  7. Je crois bien que moi aussi, je vire vieille conne. D'ailleurs, l'école où je sévis est une école de vieux cons et c'est sûrement pour ça que les parents s'arrachent la peau du ventre pour y coller leur marmaille.

    Garder ses racines, c'est certes important, mais l'école joue avec le feu en leur proposant ce genre de chose. Elle mélange tout et s'emmêle les crayons. C'est pas son boulot d'éduquer ni d'apprendre aux mômes leur langue d'origine ou prétendue telle (j'ai jamais vu de cours de berbère): c'est celui des familles.
    C'est aussi celui des familles de leur apprendre à faire leur lacets ou à ne pas se vautrer comme des flaques sur leur chaise. Et je passe sur les manquements les plus déplaisants.

    Son boulot, c'est enseigner des connaissances et des méthodes de travail. C'est aussi éveiller la curiosité et l'esprit critique.

    alors, évidemment que l'important c'est de leur apprendre le français contre vents et marées.
    Et la rigueur.
    Et le goût du boulot bien fait.
    Ces exigences élémentaires sonnent comme des bruits de bottes, noyées qu'elles sont sous les amas de bêtise téléréalistique ou la jeuvidéocratie galopante.
    Et pourtant... justement, c'est le seul moyen de les éviter, les bruits de bottes.

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  8. Moi je voulais apprendre le mandarin et personne ne m'a écouté, du coup je ne sais dire que "quiero beber una cerveza por favor" [ la honte ]
    [ et en plus c'est même pô du mandarin ] ;)

    ...bon billet, plein d'ouvertures :)

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  9. Quel scandale, d'avoir tué dans l'oeuf d'aussi belles dispositions! Ganbei quand même! :)

    ...Merci ThierryRégis

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  10. Bravo. Belle illustration du n'importe quoi actuel . Comme si aider des enfants qui n'alignent pas 3 mots de français sans fautes, c'était leur apprendre le berbère, le serbe, l'algérien ou le mandarin.

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  11. Killya > Je ne pense pas qu'ouvrir nos gamins vers d'autres cultures puisse les bloquer en quoi que ce soit et notamment diminuer leurs notes en français !

    Le berbère est une langue poétique :

    Tu m’as dit que tu ne savais lire,
    Pourtant tu lis dans mon cœur.
    Tu m’as dit que tu ne savais écrire,
    Pourtant tu écris mon bonheur.

    Tnnit yyi ur tghrit
    Mac tghrit aylli ittyaran gh tasa-nw
    Tnnit yyi ura ttarat
    Mac turit tumret inw

    Et le mandarin est une langue indispensable dans les échanges internationaux.

    L'ouverture vers les autres peuples a toujours existé, Catherine la grande de Russie échangeait avec Voltaire et il me semble que ce dernier était Loin d’être un illettré !

    Moi je suis pour encourager l'ouverture d'esprit, bravo Lo!

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  12. @ThierryRegis

    Il s'agit de gamins à l'école primaire, si j'ai bien suivi et non de correspondance entre Lettrés (Catherine de Russie vs Voltaire) Ensuite il y a des priorités, des basiques quoi!

    Je suis également pour l'ouverture d'esprit, je maitrise - imparfaitement - 5 langues.Ne mélangeons pas tout.

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  13. Killya > je n'ai pas de commentaires à faire, je ne me sens pas comme mélanger quoi que ce soit :) bonne journée!

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  14. @ThierryRegis

    Merci. Bonne journée également

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  15. ThierryRégis, Killya, je crois que nous sommes tous d'accord.
    Dommage de couper les môminets de leurs racines. Mais pas comme ça, avec cet alibi grossier et inutile de prétendus cours de langue d'origine. Je ne crois vraiment pas que ce soit la bonne méthode. J'ai vu de mes yeux vu des enfants de CE1 qui ne savaient plus s'ils devaient écrire de gauche à droite ou de droite à gauche. Qui mélangeaient français, anglais et arabe. C'est absurde.

    S'ouvrir à la culture de l'autre, oui.
    Apprendre le français en primaire, bien sûr, sans quoi, les moins aidés restent à la ramasse.
    Proposer tout un éventail de choix de langues dans le secondaire, assurément.
    Seulement il faut raison garder.

    A chaque âge ses ambitions et ses conquêtes.

    @ThierryRégis, le berbère (jamais enseigné comme langue d'origine, hélas) est en effet une langue pleine de poésie.

    As dak-inna äwedäm wdr izläy dägh tära n äytedäm tdssänägh as wdr käla ad irdm tdnbay dn tära.

    Si un homme te dit que l'amour des autres à son égard l'indiffère, tu sauras que jamais il n'a connu le goût de l'amour.

    Proverbe touareg.

    J'ai correspondu 3 ans avec une classe touarègue du Niger.
    Ouverture sur le monde extraordinaire.
    :)

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  16. Ca prouve l'incompétence des crétins de l'ED en matière de linguistique, surtout pour les langues arabes : l'Algérien, le Tunisien, le Marocain, le Syrien, l'Irakien...du secondaire, parle sa langue vernaculaire et écrit et s'exprime en Arabe Littéraire. C'est comme si on parlait français et qu'on écrivait Latin. Ce n'est pas une langue mais deux qu'on doit leur enseigner. D'ailleurs, comme me disait une Marocaine : c'est à la maison que notre langue s'apprend !

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  17. En effet. Les familles devraient attaquer l'ED pour manquement aux bases de l'apprentissages cogno-socio linguistique vernaculo-littéraire. :)
    Vaut mieux en rire, va.
    Et choukrane molto pour ton intervention très pertinente!

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