J'aime beaucoup ce quartier.
Pourtant franchement, il est moche. Des tours qui vieillissent mal, du béton, ce qui reste de bicoques et de petits immeubles fait gavrocheux. Mais ça grouille de vie et de boutiques de boustifaille, les gens tapent la discute dans tous les coins et même assis au pied des arbres. L'ambiance est détendue et sympathique et ça rattrape les égarements des architectes.
J'y vais souvent pour acheter des victuailles introuvables ailleurs. Par exemple les desserts viet-namiens à la châtaigne d'eau, lait de coco et aux feuilles de pagan. J'en raffole. La plupart des Européens que j'ai essayé de convertir à cette merveille ont eu l'air dégoûtés, les pauvres ignorants.
On trouve aussi du durian.
Je suis passée tout à l'heure devant un magasin qui en vendait des montagnes. Rien que pour voir et humer ça, le coin mérite le détour.
En outre, il faut avoir fait l'expérience de ce fruit dément au moins une fois dans sa vie.
Attendez que je vous raconte.
D'abord, partout dans les boutiques, il est question de durian. Gâteau au durian par-ci, biscuits au durian par-là, crème au durian et j'en passe. C'est visiblement le fruit roi.
Alors l'an passé, malgré le prix élevé (autour de 20 euros le kilo tout de même), j'en ai acheté un. La caissière a pris la peine de me glisser qu'il fallait attendre quelques jours avant de le déguster. Très bien. Je l'ai donc posé sur le balcon, encore tout emmitouflé dans son emballage tressé. Oui, parce que sinon, pas moyen de le manipuler: le durian est gros, pesant et hérissé de pointes qui entament les mains.
Au bout de quelques jours, une odeur pas désagréable, mais assez violente s'est dégagée du fruit: un mélange de fruit de la passion, de chou et de je ne sais quoi encore. En tout cas, ça sentait.
Il était à point, les lobes piquants commençaient à s'entrouvrir.
Je n'ai eu qu'à les écarter pour qu'ils révèlent un intérieur fait de compartiments emplis de sortes de sacs mordorés, contenant tous une chair pâteuse, compacte, assez poisseuse et agressivement parfumée.
Mon cher et tendre est un gourmand qui ne craint pas de tester de nouveaux goûts. Il était là, les papilles frémissantes, impatient de déguster enfin ce fameux fruit. J'ai plongé une cuillère à soupe dans cette chair opulente pour lui en servir le contenu et j'ai fait de même pour moi.
Et là, quelque-chose d'extraordinaire s'est produit:
Le premier goût est plutôt agréable. Un peu de mangue souffrée, de fruit sec, de champignon et un soupçon de céleri, le tout mis en valeur par une consistance de chair d'avocat douçâtre très, mais alors TRES riche. On avale et on en reprend une autre, curieux de tester plus avant, parce le goût est tout de même complexe.
Seulement en même temps, le deuxième goût de ce qui vient d'être avalé se déploie en queue de paon et on ne s'y attend pas. Il vous prend par surprise alors que la deuxième bouchée est en route et là, ça fait drôle, parce que ça ressemble beaucoup à de l'oignon pourri, en plus nuancé. Non pas que j'aie une expérience très approfondie du goût d'oignon fermenté, mais j'en ai senti et on est dans le ton. Et puis évidemment la queue de paon continue à déployer ses charmes et à l'oignon pourri succède une déclinaison variée de goûts qui tous, évoquent quelque chose de soufré qui fermente. C'est un goût passionnant, mais qui exige une certaine résistance à l'envie de vomir.
J'ai réussi à terminer ma cuillère, mais la dernière bouchée a été difficile.
Mon mari chéri, lui, n'a pas pu, malgré sa bonne volonté. Pourtant, il a un estomac d'autruche.
Il s'est d'abord précipité sur le riz pour éteindre ce goût traître. Puis il a vidé le pot de cornichons pour le noyer dans un bain d'acide.
Quant à moi, j'en a repris le lendemain, ça passait déjà mieux.
Mais le reste du fruit a fini au congélateur, emballé sous plusieurs couches de plastique hermétique. Malgré cette précaution, il a entrepris de le parfumer et avec lui, la cuisine.
Alors je l'ai enfoui au fond de ma plus robuste boîte tuppermachin, celle qui résiste à tout. Moyennant quoi, mon congélateur ne sent plus le durian.
Il paraît que chaque année, dans le beau pays du durian, à la saison idoine, les gens se précipitent pour en acheter, tellement ils en sont fous. J'ai même découvert que parmi les plus intoxiqués, certains faisaient de overdoses de durian et passaient l'arme à gauche.
En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'il ne faut en aucun cas associer ce fruit fou à l'alcool. Le foie lâche, tout simplement.
Dire que les étrangers se pincent le nez à l'évocation du camembert...
Vous vivez dangereusement les amis ! enfin esce bien raisonnable de titiller ainsi son foie et ses voisins de chantier ?
RépondreSupprimerEn tous les cas, je ne connaissais pas ce truc-là ! je ne vais pas souvent dans ce quartier, c'est loin de nos bases, mais chaque fois, j'ai bien aimé aussi, même si je reste très dubitative devant les rayons
bises à vous 2
Ouaip! C'est nous les aventuriers du quartier chinois! (accent de Ménilmuche pour rendre le truc crédible)
SupprimerEn fait, avec un cuillère de durian, je ne pense pas qu'on risque grand chose, à part attraper des souvenirs tenaces. C'est vrai qu'on se sent perdu devant les rayons. Quand ça me prend, je demande aux gens de m'expliquer comment préparer ça ou ça. Ils m'ont toujours répondu très gentiment. Du coup, ça me semble moins "étranger" maintenant.
Bises et à une prochaine balade dans le coin?
Moi pas connaître ce fruit-légume mais ce qui est sur c'est qu il y a des expériences à faire dans la vie, certaines valent le coup quand d'autres méritent qu'on les laisse à ses amis :)
RépondreSupprimerBisous
On en a une bonne dose dans le congélo, si ça te dis de te lancer dans l'expérience!
SupprimerDes bises et à très vite!
Bon, elle se dit amie des animaux et se tortore des hérissons faisandés. Même le Serbe qu'elle héberge a rendu les armes en allant gerber dans les géraniums du shogunat d'au-dessus.
RépondreSupprimerRagnar Lodbrog doit se frotter les mains d'aise. Ca vaudra bien une kenning tout cela, par Odin !
Surtout ne pas confondre durian et hérisson faisandé! L'un est malais, l'autre en vogue chez le Manouche de lisière de banlieue. Rien à voir!
SupprimerJ'ai dû en voir quelques fois et plonger dans un abîme de perplexité sans jamais oser comme toi.
RépondreSupprimerJ'aime la façon que tu as de décrire la chose et ce voyage des papilles : "C'est un goût passionnant, mais qui exige une certaine résistance à l'envie de vomir." :-)
Aaah! Laurent, il faut oser! Ça vaut le voyage. Et si tu hésites à investir dans un fruit entier, je peux t'en donner un échantillon; ce sera avec plaisir.
SupprimerLa description est en tout point conforme. Ce qui est terrible c'est ce retour de goût.
RépondreSupprimerLorsqu'il se déploie c'est l'alerte générale.
A tel point que la vue même de l'intérieur du fruit et le souvenir de cette chair riche et pâteuse comme un mauvais camembert m'est extrêmement pénible.
Cette épaisse langue qui déborde de son alvéole est quelque part entre le règne végétal et le règne animal. Elle va jusqu'à titiller l'imaginaire nourri du bestiaire de toutes les bestioles gluantes et rampantes agressives pour l'homme.
Comme la plupart des fruits, le durian supporte mal le transport et la conservation. Votre vendeur vous a mal conseillée: une consommation immédiate aurait pu réduire les effets négatifs constatés si la pourriture n'était pas déjà installée. Je ne veux pas non plus accuser ce brave homme qui a peut-être un goût chinois pour des fruits terriblement avancés.
RépondreSupprimerDans les pays de production où j'ai longtemps vécu, on procède, si l'on a les moyens, à l'achat de plusieurs fruits, choisis avec soin, que l'on ouvre arrivé à la maison et que l'on goûte pour choisir le ou les meilleurs. Les autres sont aisément distribués aux nombreux amateurs, moins exigeants du voisinage.
Mais l'idéal, c'est l'occasion d'une visite des zones de production où l'on peut choisir ses fruits dans de petites échoppes de bord de route, frais cueillis du matin.
Ce que vous avez habilement congelé n'est pas du durian mais du durian pourri dont vous devriez vous débarrasser. Pour avoir le goût sans les problèmes, essayez si vous en trouvez de la pâte de durian mais c'est un peu différent.
Frans
Bonjour Frans et merci de vos éclaircissements. Je n'avais pas envisagé l'option "durian pourri", parce que le fruit que j'avais acheté avait l'air sain, malgré son goût...soutenu. Je vois que l'art du choix va loin en matière de durian. C'est vraiment un fruit passionnant. Je regrette de ne pas avoir encore eu l'occasion de me fournir à la source et je retiens l'idée de la pâte de durian.
SupprimerQuelle aventure, vous vivez dangereusement. Pas de durian pour moi :)
RépondreSupprimerTu écris merveilleusement bien, t'es-tu enfin mise à l'écriture ?
Bisous à vous deux :)
D'accord Nadou. Pour toi, ça sera un bon gâteau sans durian. De toute façon, sur le conseil de Frans, j'ai jeté celui qui occupait mon congélateur à la poubelle. Serais-tu à Paris un jour prochain?
SupprimerJ'écris dans mon blog, en attendant un éclair d'inspiration pour autre chose.
Des grosses bises à toi!
RépondreSupprimerHier j'ai bien ri en pensant à toi:mon beau-frère comme toi aime goûter à des choses exotiques, du coup il a acheté des chirimoya. Après m'avoir fait l'éloge du fruit il voulait que j'en mange un, mais la chaire baveuse du fruit ne m'inspirait pas, puis il y avait le souvenir de ton histoire et j'étais très réticente. J'ai goûté et pas aimé. Le lendemain il s'est attaqué au dernier fruit, quand tout à coup je l'ai vu se précipiter vers les toilettes. Devant mon air surpris il m'a dit que le fruit était pourri et la j'ai bien ri et pensé à toi :durian et chirimoya c'est le même combat... hahahaha
Je ne connais pas le chirimoya. Je suis intriguée. Maintenat, quel est le pire des deux pourris? Le durian ou le chirimoya? Le concours est ouvert :)
SupprimerA mon avis ça doit être kif-kif bourricot :)
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